Le Service Historique de la Défense permet la consultation de dossiers d’officiers – constitués et archivés soit lorsqu’ils quittent le service actif, soit lorsque leur veuve demande une pension. On les trouve dans les cotes GR5YE ou GR5YF, dont les inventaires détaillés sont disponibles en salle d’inventaire à Vincennes. Ces dossiers sont souvent de vraies mines d’or pour le généalogiste.
J’ai ainsi dernièrement consulté le dossier de Denis Daniel Ernest Pelletier de Chambure, frère de l’arrière arrière arrière arrière grand mère de mes enfants, Louise Arnoldine Pelletier de Chambure.
Les parents de Denis, Alexandre Louis Claude Pelletier de Chambure et Jeanne Arnoldine Catherine Donker van der Hoff, se sont mariés en 1812 à Amsterdam, où Alexandre, le père, était caissier principal des postes du département de la Hollande, intégrée à cette époque au Premier Empire. A partir du 1er février 1815, il est directeur des postes à Dijon, mais c’est à Paris que naissent les deux premières filles du couple : Henriette Marie Fanny en février 1817, Louise Arnoldine fin avril 1819. A partir de novembre 1820, Alexandre est directeur des Poste à Reims, où Denis nait le 8 juin 1822 au domicile de la famille, au 5 rue de Vesle, là où se trouve désormais l’opéra de Reims. En septembre 1823, la famille déménage à Metz, où Alexandre est directeur des postes de la Ville, et où nait la dernière enfant du couple, Mary Fanny, en octobre 1825. En avril 1834, nouvelle promotion pour Alexandre, qui a maintenant 43 ans et qui s’installe à Strasbourg, où il occupe les fonctions de directeur comptable des postes du département du Bas Rhin.
Mais la carrière d’Alexandre est brutalement interrompue par son décès, le 6 février 1838 à Strasbourg. Alexandre Pelletier de Chambure n’avait que 47 ans et il laisse une veuve, trois filles à doter et marier, de 20, 18 et 13 ans, et un fils d’à peine 16 ans.
Dans un premier temps, Denis, reprenant une tradition familiale – mais le sait-il seulement ? – décide de devenir chirurgien, comme ses ancêtres Jacques Crelot à Nancy et Paris au 17è siècle , Gratien Landes au 18ème siècle, et plus proche son arrière grand père Jacques Bérard. Mais après 3 ans et quelques péripéties – qui feront probablement l’objet d’un autre article, un jour, si je trouve plus de sources – il abandonne les études médicales en mars 1843 et finit par s’engager le 4 janvier 1844 au 9ème régiment d’artillerie, stationné à Strasbourg, où il commence au bas de l’échelle.
Canonnier, puis 2nd canonnier servant dès le 10 janvier 1844, 1er canonnier servant le 16 août 1846. Il est temps pour lui de reprendre le cours de la carrière militaire supérieure qu’il avait envisagée à 18 ans. Il intègre donc l’école spéciale militaire de Saint-Cyr le 13 décembre 1846, suivant ainsi les traces de Laurent Auguste Pelletier de Chambure, le cousin germain de son père, héros de l’épopée napoléonienne, et seul autre Pelletier de Chambure ayant avant lui choisi la carrière militaire.
Denis appartient à la promotion d’ »Italie » – 1846-1848 – et sort 11e sur 296.
En 1852, Denis, sous lieutenant au 2è régiment de chasseurs, est en garnison à Lunéville, une ville dans laquelle une grande base de cavalerie est implantée. Il fait la connaissance d’une jeune fille, Barbe Mathilde Mathieu, qui n’a pas encore 18 ans, et souhaite l’épouser.
Mais quand on est officier dans l’armée, il ne suffit pas au futur couple d’obtenir le consentement de ses parents pour se marier. Depuis 1808 et un décret de Napoléon Ier, il faut aussi une autorisation des autorités militaires.
En 1843, les conditions pour obtenir l’autorisation de mariage exigée s’alourdissent. Il faut désormais que la future épouse apporte en dot un revenu non viager de 1200 francs annuel au moins.
Denis veut épouser Mathilde. Mathilde est orpheline de père, sa mère Josephine Marguerite Chatelain, 39 ans, a donné son accord. La mère de Denis, Jeanne Arnoldine Donker van der Hoff, directrice de la poste aux lettres à Barr, dans le Bas-Rhin, a aussi donné son accord. La famille de la jeune fille est honorablement connue. Malgré tout, le Ministère de la guerre, à la vue du contrat de mariage, fronce les sourcils et refuse son autorisation. La dot de Mathilde n’est pas assez importante, et la situation financière de Denis est déjà difficile.
Par une décision en date du 20 octobre dernier, le Ministre a statué négativement sur une demande d’autorisation de mariage formée par Monsieur Pelletier de Chambure, sous lieutenant au 2e régiment de chasseurs, qui désirait épouser Mademoiselle Mathieu (Barbe Mathilde), domiciliée à Lunéville. La décision du Ministre était basée sur le motif que l’officier, dont la future ne devait recevoir que le minimum de la dot exigée ( 1200 francs de revenus), se trouvait lui même dans une position fort obérée qui ne pouvait que s’aggraver par le fait de l’union projetée.
Denis a des dettes et le mariage projeté ne pourrait pas lui permettre de se remettre à flots et de tenir son rang, l’autorisation est refusée ….
Denis pourrait décider de trouver une autre prétendante, mais le jeune couple semble s’être choisi, et on remet sur la table les conditions financières du futur mariage. La famille des fiancés intervient. La famille de Denis paie ses dettes – combien, qui, comment ? Je l’ignore, mais je suis très curieuse.
Et la famille de Mathilde refait ses comptes. Dans un premier temps, Mathilde devait recevoir 24 000 francs de dot, produisant au taux de 5% un revenu annuel de 1200 francs. Mathilde est l’unique fille survivante de Charles Mathieu et de Josephine Chatelain. De son père, décédé en laissant deux filles, elle avait hérité conjointement avec sa sœur un capital de 19503 francs, géré par sa mère. au décès de sa sœur elle a hérité de trois quart de son héritage, soit 7313 francs, et dispose donc au moment de son mariage d’un capital total en propre d’un peu plus de 17000 francs. A cette somme, sa mère lui avait fait donation entre vifs de la somme de 6930 francs, portant la dot initiale à 24000 francs. Cette somme n’est constituée que de biens mobiliers, placés et gérés par sa mère et pour les garantir, la famille, tant au niveau paternel que maternel, met en place des hypothèques sur des biens immobiliers – un patrimoine plutôt conséquent dans la région de Lunéville. Pour compléter cette première dot, trois des sœurs de Charles Mathieu, le père décédé, qui ne se sont jamais mariées, font donation à la « demoiselle future épouse, leur nièce, qui accepte avec reconnaissance « , en avancement d’hoirie sur leur succession future, d’immeubles pour un somme de 16000 francs.
La dot de Mathilde est désormais de 40000 francs, garantis par sa mère, trois de ses tantes paternelles et son grand père maternel. Le général retransmet la demande d’autorisation au ministre de la guerre. Mais le grand père a brusquement un doute. N’est il pas en train de garantir deux fois la dot de sa petite fille, puisqu’il la garantit à titre personnel et que la garantie de sa fille, la mère de la mariée, repose sur des biens qui lui appartiennent à lui et dont elle disposera quand elle héritera …..
A ce moment de la lecture du dossier, j’ai l’impression de lire du Balzac ….
Le ministère s’inquiète, le futur officier pourra t’il tenir son rang si la dot de la future épouse venait à ne pas être versée ….. Alors le général se fend d’une nouvelle missive à son ministère, l’assurant qu’après vérification, la dot de la jeune Mathilde est bien suffisante, que les sûretés mises en place sont largement suffisantes, que les dettes du jeune homme sont toutes soldées, « que le mariage projeté par Mr Pelletier de Chambure est parfaitement convenable, même au point de vue financier » et ajoutant les dernières lignes d’une lettre que lui a adressée Denis Pelletier de Chambure.
Je vis depuis plus de 4 mois dans une si grande intimité chez madame Mathieu qu’il résulterait de mon échec, si je me retirais, un dommage irréparable pour la considération de sa fille. Il ne serait ni délicat ni honorable de me croire dégagé. Il faudrait alors faire le sacrifice de ma position! Cette nécessité pénible, vous pourrez me l’épargner par l’influence de votre appui.
En gros, si l’armée refuse l’autorisation, Denis démissionnera et épousera Mathilde pour lui éviter le déshonneur …..
Enfin, enfin, l’autorisation est accordée le 23 décembre 1852, beau cadeau de Noël – et le 28 décembre, Denis Pelletier de Chambure, 30 ans, sous lieutenant au 2e régiment de chasseurs à cheval en garnison à Lunéville, épouse Barbe Mathilde Mathieu, 17 ans, en présence de sa mère, Jeanne Arnoldine Donker van der Hoff, venue de Barr avec sa fille Louise Arnoldine Pelletier de Chambure et son gendre, Chrétien Daniel Jung, les Sosa 42 et 43 de mes enfants.
Rien dans l’acte ne laisse imaginer les difficultés et la tension qui ont entouré ce mariage, qui semble t’il aurait eu lieu même sans l’autorisation du Ministère de la Guerre, puisque les bans en avaient été publiés les douze et dix neuf décembre, alors même que la demande d’autorisation était toujours en cours d’instruction. Si je n’avais pas eu l’idée de consulter le dossier militaire de Denis, pour en savoir plus sur la famille de l’arrière arrière arrière arrière grand mère de mes enfants, jamais je n’aurais eu connaissance de ces péripéties, de cette anecdote – qui s’est bien terminée – dont même les descendants du couple n’avaient pas connaissance.
N’hésitez donc pas à multiplier les sources, à chercher tous les documents qui sont disponibles, pour chacune des personnes de votre arbre. Un trésor généalogique peut s’y cacher.
Liens et sources
- Service Historique de la Défense – Dossier de reversion de pension de Denis Pelletier de Chambure – Cote GR5YF _ 27636
- Leonore – Base de la légion d’honneur – Dossier LH/2087/21 – Alexandre Louis Claude Pelletier de Chambure
- Archives de Meurthe et Moselle – Mariages Luneville 1845-1854 – Acte 98 vue 682/852
- Persee – Pratiques de la dot en France au XIXe siecle
- Gallica – Annuaire de l’état militaire de France – 1844 – 9e régiment d’artillerie page 504
- Google Books – Journal militaire officiel – 1871 –