C’était en 1918 – Michel Snejkovsky et Adele Kühner

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Guillaume Chaix et l’équipe du Rendez Vous Ancestral ont proposé aux généalogistes blogueurs de consacrer le mois de février 2018 au souvenir de nos ancêtres il y a 100 ans maintenant, sous le mot clef #Racontemoinosancêtres. J’ai choisi de voir où se trouvait chacun des couples d’arrières grands parents de mes enfants lors de l’armistice de 1918, ce que leur famille vivait cette année là, et de revenir sur ce que la guerre a signifié pour chacun d’eux. Cette semaine, je vais vous parler des grands parents paternels de mon mari, Michel Snejkovsky et Adele Kühner.


Arbre familial d’Adele Kühner

Novembre 1918 n’est pas une date significative dans l’histoire de la Russie et de l’Ukraine.

Dans l’empire russe, depuis juillet 1917 et l’échec de la dernière offensive lancée par l’armée russe, l’état major russe a renoncé à toute nouvelle initiative. En octobre 1917, les bolcheviks arrivent au pouvoir et cherchent immédiatement à signer la paix avec les Alliés et avec les empires allemand et austro-hongrois. Le 3 mars 1918 est signé le traité de Brest-Litovsk entre les empires centraux et la république russe bolchévique.

A Kiev, en Ukraine, le 23 juin 1917, l’autonomie de l’Ukraine est proclamée. Ne reconnaissant pas le pouvoir du gouvernement bolchévik qui s’installe après la révolution d’octobre, l’Ukraine proclame alors son indépendance le 22 janvier 1918, et signe très rapidemenent, le 9 février 1918,  un traité de paix, dans la même ville de Brest-Litovsk, avec les empires centraux. Par ce traité, l’Ukraine obtient des empires centraux la reconnaissance de son indépendance, alors que le nouveau gouvernement russe, lui, ne la reconnait pas.

Très vite, la guerre civile éclate entre les bolchéviks et le parti au pouvoir. Pour ne pas compromettre leur main-mise économique sur l’Ukraine et ses plaines à blé, les allemands et les autrichiens interviennent pour  installer un gouvernement fantoche , qui va rester au pouvoir jusqu’en novembre 1918, grâce au soutien et à la présence des forces allemandes.

Au sud de l’Ukraine, sur les rives de la Mer Noire, se trouve Odessa. C’est dans cette ville que les grands-parents d’Adele Kühner, Wilhelm Albert Kühner et son épouse Christine Wagner, venus de Stuttgart, se sont installés vers 1830. C’est à Odessa qu’est née Adele, le 8 février 1886, que sont nés ses frères et soeurs, que sont morts ses parents. C’est à Odessa qu’elle a rencontré Michel Snejkovsky, né dans la région de Vinnytsia, capitaine au long cours, et qu’ils se sont mariés le 16 octobre 1909. C’est à Odessa qu’est né leur fils unique, Boris, le 23 juillet 1910.

Il est difficile de savoir comment les frères d’Adele ont ou non participé au conflit. Qu’est-il advenu pendant ce conflit d’Eduard – 44 ans en 1914 – , de Carl August – 40 ans – , de Friedrich Gustav – 38 ans – ou de Gustav Louis – 34 ans ? En raison de leur âge, il est probable qu’Eduard et Carl August n’ont jamais été mobilisés. Mais je m’interroge aussi du fait de leur « nationalité » allemande.

De septembre 1914 à la fin de l’année 1916, plus d’un million de citoyens de l’Empire russe, d’origine juive ou allemande, furent brutalement expulsés, voire déportés sur ordre des autorités militaires du seul fait de leur origine ethnique. Les premières expulsions massives de Juifs eurent lieu dès septembre 1914 en Pologne ; elles se prolongèrent (début 1915) en Galicie, en Courlande, dans les pays baltes, et atteignirent leur point culminant durant l’été et l’automne 1915, lorsque plusieurs centaines de milliers de Juifs furent expulsés et déportés de Biélorussie et d’Ukraine occidentale. Un sort identique s’abattit sur les colons allemands – sujets du Tsar – installés en Ukraine occidentale (Polodie, Volhydie, provinces de Ekaterinoslav et de Kherson) : près d’un demi-million d’entre eux furent expropriés et déportés. Tous ces déportés, théoriquement assignés à résidence dans un certain nombre de provinces éloignées du théâtre des opérations militaires, grossirent le flot des millions de réfugiés fuyant l’avancée des troupes ennemies, mais aussi souvent chassés de chez eux par la politique de la « terre brûlée » mise en œuvre, notamment sur le front sud-ouest, par l’armée russe en retraite.

Nicolas Werth .

Les découvertes que j’ai récemment faites concernant Carl, Gustav et Friedrich me font penser qu’ils n’ont pas été déportés. Mais où et comment ont-ils vécu cette guerre, c’est encore une énigme pour moi.

Michel Snejkovsky, lui, reste à bord de son bateau, le Vladimir, qui assure pour le compte de la Russian Volunteer Fleet le trajet Odessa – Nagasaki – Shanghai – Vladivostok. Adele avait raconté certains de ses souvenirs à sa belle fille, ma belle mère Christiane Karcher, qui nous les a ensuite transmis.

Entouré de mille soins Boris grandit couvé par sa mère perpétuellement inquiète – ne voyant que rarement son père. Quand en 1917 éclate la révolution tout son univers de petit enfant éclate. Plusieurs fois leur appartement est envahi de bandes de marins et d’ouvriers grossiers, criards, hirsutes, agressifs, souvent ivres; de objets son brisés, les pièces, les meubles sont fouillés, sa mère est menacée … et son père est quelque part en mer – loin. Alors que Boris est atteint d’une pneumonie, une lettre de son père leur parvient demandant à Adèle de quitter tout et de le rejoindre avec le petit garçon à Vladivostock.

J’ai déjà eu l’occasion de vous raconter cet épisode de la vie d’Adele.

Trois photos nous sont parvenues, prises au Japon, probablement en 1918, puisqu’Adele et son fils Boris y sont restés une année, pendant que Michel continuait à sillonner les océans.

Collection privée

Quand exactement Adele quitte t’elle le Japon ? Je l’ignore. Mais je commence, étape par étape, à reconstituer le parcours du Vladimir à partir de fin 1918. C’est sur le navire que la famille – Michel, Adele et Boris –  va vivre de fin 1918 à fin 1920.

A Odessa, fin décembre 1918, les Alliés, avec des forces grecques, britanniques et principalement françaises, prennent la ville avec le support de l’Armée Blanche locale, à laquelle Friedrich, un des frères ainés d’Adele, appartient en 1920 quand il est fait prisonnier, puis probablement exécuté.

L’intervention de la France est approuvée par Clemenceau, et une force armée commandée par le général Franchet d’Espèrey prend position dans la région d’Odessa, pour intervenir contre l’avance des bolcheviks russes.

Odessa French intervention 1919.jpg
Автор: неизвестен – copy of photoimage made in Odessa during Russian Revolution of 1917-1920, Общественное достояние, Ссылка

Pour Clemenceau, il s’agit de couper aux bolcheviks l’accès à l’Ukraine, au Caucase et à la Sibérie pendant que les Armées Blanches s’organisent pour lutter contre les bolcheviks. Mais très vite, il est clair que la situation échappe à l’armée d’intervention, qui reste dans les grandes villes, avec son contingent de 60 000 hommes, alors que déjà on souffre de la faim dans les régions autour d’Odessa. Les soldats français ne comprennent pas pourquoi ils sont venus là, pourquoi ils doivent intervenir. L’opposition politique en France proteste avec véhémence contre cette intervention. Les troupes bolcheviks approchent de la ville. Début avril 1919, le haut commandement français décide dans l’urgence de l’évacuation d’Odessa, fixée au 4 avril 1919. Pendant que dans un désordre terrible, les soldats et une partie du matériel s’entassent sur les navires français, certains bateaux de l’Armée Blanche, dont le Vladimir, sont dans le port d’Odessa et participent à l’évacuation d’une toute petite partie de la population, des russes blancs aisés, qui paient une fortune – à des fonctionnaires peu scrupuleux, parfois aux forces d’occupation – pour obtenir le précieux passeport qui leur permettra de sauver leur famille et leur vie. Tous les récits que j’ai lu pour l’instant sur cette terrible évacuation concordent pour évoquer le chaos, la corruption, la terreur.

Le Vladimir participe donc à l’évacuation en ce début d’avril 1919 et fait route vers Novorossisk.

Cliquez sur la carte pour vous repérer géographiquement

Novorossiisk, du 26 août 1918 au 27 mars 1920, c’est le quartier général de l’Armée Blanche de Dénikine.

Le 11 mai 1919, le Vladimir quitte Novorossiisk, avec 110 personnes à bord, à destination de New York, où il arrive le 17 juin 1919. Un dossier très complet sur le site d’Ellis Island, que j’avais ulitisé pour vous raconter cet épisode,  donne non seulement la liste de tous les passagers et hommes d’équipages, mais indique également quelles ont été les consignes sanitaires, qui est resté aux Etats-Unis, s’ils y rejoignaient de la famille.

Sur le Vladimir, après la guerre

Le Vladimir quitte New York début août 1919, fait escale à Eddystone et reprend la mer le 9 août 1919 pour Novorossisk. Sur la liste d’équipage Michel est capitaine, Adele est indiquée comme infirmière et Boris est sur la liste des marins, du haut de ses 10 ans. Mais bien sûr, en ces temps de guerre, il faut que la famille du capitaine ait une raison officielle de rester sur le navire.

Pendant ce temps, en Ukraine, l’Armée blanche, que le général Wrangel a unifié et réorganisé, reprend Odessa et une partie de la région. Dans les publications de l’époque, je trouve quelques mentions de voyages et de transports réalisés en Mer Noire par le Vladimir, la plupart du temps sans date précise.

Gallica – Bulletin quotidien de presse étrangère

Mais les succès militaires ne durent pas longtemps, et au début de 1920, la situation a clairement tourné à l’avantage des troupes bolcheviks. Une nouvelle fois, l’évacuation d’Odessa est décidée, cette fois ci par l’Armée Blanche. Par une température glaciale, dans la nuit du 6 au 7 février 1920  – 24-25 janvier 1920 selon le calendrier orthodoxe – l’Etat major est évacué. Au petit matin, dans la rade d’Odessa, alors que les bolcheviks sont entrés dans la ville, et bombardent le port, les navires se succèdent pour charger hommes, matériel, et parmi eux quelques civils. Ce jour là, le Vladimir participe à l’évacuation des troupes de l’armée volontaire, sous le feu croisé de l’armée rouge et des soldats de l’armée blanche et des gardes du bateau. Le petit garçon de 10 ans, qui quittait définitivement la ville où il était né, devenu adulte et père de famille, a souvent raconté ce souvenir à son fils, sans qu’on puisse jusque là précisément le dater.

Les restes des unités militaires de l’Armée blanche furent embarqués sur le vapeur russe ‘Vladimir’, amarré à un quai à proximité. L’embarquement eut lieu dans une telle panique que le garde du vapeur dut tirer sur la foule des soldats pour ramener l’ordre

Odessa evacuation 2.jpg
Общественное достояние, Ссылка

Fin mars 1920, c’est Novorossiik qu’il faut évacuer. Cette fois encore, le Vladimir et son capitaine Michel Snejkovsky sont présents.

In the afternoon of March 26, the ship « Vladimir », adapted as a hospital ship, departed, having 983 wounded and sick; about the same number of evacuated « Tiger ».

Dans l’après midi du 26 mars, le navire « Vladimir » transformé en navire hopital, quitta le port avec 983 blessés et malades; environ le même nombre fut évacué sur le « Tiger ».

En décembre 1920, le Vladimir est à Constantinople – aujourd’hui Istanbul – où le navire est vendu à un Géorgien. Michel perd son travail, et la famille, comme de nombreux émigrés russes, reste quelque temps à Constantinople, qu’elle quittera le 30 mars 1922 pour l’Allemagne.

Archives familiales

1918 en tant que telle n’est pas une année significative pour la famille de Michel Snejkovsky et d’Adele Kühner. Ce sont les années de la révolution russe et de la contre-révolution, les opérations faites pour le compte de l’Armée Blanche, les années 1917-1920, qui ont marqué cette famille. Quelque part, un jour, il y a eu un journal de bord du Vladimir, qui raconte cette histoire, qui me permettrait d’en remplir tous les blancs. Je ne sais pas si ce journal de bord existe encore, ou s’il a été détruit avec le navire, à Wilhelmshaven en 1923. Un jour peut-être vais-je en retrouver la trace ….. Un jour peut-être …


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