J’aime lire les registres, à la recherche de l’acte qui me manque; il y a toujours des découvertes à faire, plus ou moins lisibles.
Dernièrement, dans le registre des Baptêmes, Mariages et Sépultures d’Ayron, à la fin de l’année 1783, je suis tombée sur un compte rendu rédigé par monsieur le curé Chasteau, curé d’Ayron, un curé dont j’apprécie particulièrement l’écriture ronde bien facile à déchiffrer.
Monsieur le curé nous relate ses démêlés judiciaires avec ses paroissiens, toujours en cours au moment où il écrit ces lignes.
Ecoutons le nous raconter sa version des faits.
En mil sept quatre vingt un, le curé obligé de sortir de l’ancienne maison qui appartenait au feu curé mr martineau, pour […] […] aubergiste, fit une assemblée de paroisse pour réclamer un logement ou faute de ce 50 livres pour lui en tenir lieu. Les paroissiens par une dureté inouie et d’ailleurs mal conseillés, s’opposèrent à l’une et l’autre demande, le curé se mit en règle pour obtenir les 50 livres qui lui furent adjugées de mr l’intendant, les paroissiens formèrent opposition. Le moyen de defense qu’allègent les paroissiens est que le jardin vulgairement appelé la cure a été donné pour tenir lieu des 50 livres mais c’est un mensonge bien digne des gens tracassiers qui ne peut tourner qu’à leur confusion. Dans le fait il y a dans ce jardin une cave et un puits et autrefois il y avait une maison à la conservation de laquelle les habitants devaient veiller, pourquoi n’ont ils pas eu ce soin, dont ils doivent être aujourd’hui responsables? dans les mémoires du procès de feu monsieur Jourlard, on fait mention d’un appentis de maison qui existait dans ce jardin, les paroissiens en conséquence disputent sur le terme d’appentis et ils concluent que cet appentis n’était pas maison. Mais ce raisonnement est pitoyable, car on peut appeler une vraie maison un appentis. D’ailleurs cette dénomination est arbitraire, ce puits et cette cave supposent toujours qu’il y avait une maison logeable quelqu’elle fut, ainsi un curé sera toujours autorisé malgré leur ridicule entêtement à en demander la construction ou faute de ce par amour pour le bien de la paix la somme de 50 livres que le curé réclame absolument aujourd’hui. Si le curé présent ne forme point d’action pour le retablissement de ce logement, il n’y est pas moins autorisé
Signé : Chasteau curé d’ayron
Ma première réaction a été l’amusement, ca ressemblait à une scène de Don Camillo. Ce prêtre qui expose en fin de registre, juste avant de l’envoyer au greffe, les griefs légitimes ou non qu’il a contre ses paroissiens, avouez que ca fait sourire. Et mes ancêtres paysans étaient bien pingres pour refuser ainsi d’assurer le gîte de leur pasteur.
Mais j’ai vite commencé à me poser des questions sur le quotidien de ces curés de campagne, qui étaient un élément indispensable du tissu social dans ces villages et hameaux où vivait la majeure partie de la population française.
Le curé était là à toutes les étapes de la vie : il partait dans les hameaux donner l’extrême onction ou baptiser un nouveau né, tâches urgentes qui ne souffraient pas de délai, on mourrait si vite à l’époque. Il « gérait » sa population, s’occupant des demandes de dispense, des publications de bans, des certificats, et tenant ces registres qui nous sont si familiers et servaient à l’état pour dénombrer plus ou moins la population du royaume. N’oublions pas sa fonction spirituelle première : la mise en perspective de la vie misérable de la plupart de ses paroissiens, leur promettant le paradis – au sens premier du terme – si leur vie terrestre répondait aux règles édictées par l’église, très proches alors de celles en vigueur dans la société civile.
Le curé était un « érudit » dans ces petits villages, il avait de l’instruction – du moins en comparaison avec ses ouailles – , et souvent était issu de familles de notables locaux.
On parle toujours de la richesse de l’église catholique, des fastes de la papauté et des évéchés, mais la situation était toute autre dans les campagnes. L’église vivait de la dîme, impôt en nature ou en argent, supposé représenter le dixième des revenus agricoles, qui depuis le Moyen Age était reversé à l’Eglise Catholique. Les « gros décimateurs », c’est à dire les éveques ou les abbés reversaient ensuite au titulaire de la paroisse , curé et vicaire, une somme annuelle supposée subvenir à ses besoins, appelée portion congrue. Lisez sur ce point l’excellente page de Frederic Challet, claire et bien documentée.
Le terme de « portion congrue » nous évoque aujourd’hui la restriction, à l’époque l’adjectif « congru » avait sa signification première de juste valeur, de valeur qui convient à la situation. La dérive sémantique de l’expression, quand on y pense, est explicite. Avec leur portion congrue supposée convenir à leur assurer une subsistance adéquate, nos pauvres curés de campagne n’avaient pas les moyens de vivre. Au XVIIème et XVIIIème siècle, plusieurs édits royaux ont d’ailleurs fixé le montant du revenu de ces curés, avec des augmentations importantes qui n’ont apparemment pas suffi à rétablir l’équilibre. D’ailleurs une partie des petits curés de campagne a préféré passer par le Tiers Etat plutôt que par le Clergé pour faire remonter ses doléances lors des Etats Généraux de 1789. Ils n’étaient pas des nantis, bien loin de là.
Après les quelques heures que j’ai passées à lire les différents documents que je vous cite – et d’autres un peu moins en rapport, merci Gallica … – je trouve la note du curé Chasteau un peu moins drôle. La vie devait être bien dure pour lui, et les 50 livres qu’il demande pour se loger ne sont sûrement pas un luxe.
Sources et liens
- AD86 – BMS Ayron 1773-1784 – vue 88/96
- de Vaissière Pierre. L’état social des curés de campagne au XVIIIe siècle, d’après la correspondance de l’agence du clergé aux Archives nationales. In: Revue d’histoire de l’Église de France. Tome 19. N°82, 1933. pp. 23-53.
doi : 10.3406/rhef.1933.2643
url :http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhef_0300-9505_1933_num_19_82_2643
Consulté le 25 septembre 2012
- Dîme, décimateurs et portion congrue, un site de Frédéric Challet – consulté le 25 septembre 2012
doi : 10.3406/rhef.1933.2643
url :http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhef_0300-9505_1933_num_19_82_2643
Consulté le 25 septembre 2012