Aucun thème précis pour cette nouvelle participation du blog au Challenge AZ initié par Sophie Boudarel, de la Gazette des ancêtres, juste une promenade à la rencontre de personnes ou d’anecdotes rencontrées au cours de mes recherches
C’est à Strasbourg autour de la Révolution que nous conduit aujourd’hui notre voyage. Nous allons y rencontrer Marie Madeleine Fuchs, épouse et mère de la lignée Jung.
Aperçu généalogique
Branche KarcherNom: Marie Madeleine Fuchs
Parents: Johan Jakob Fuchs et Marie Listenmann
Epouse: Jean Jung
Lien de parenté: ancêtre de mon mari à la 7ème génération
- Marie Madeleine Fuchs
- Chrétien Daniel Jung
- Chrétien Daniel Jung
- Marie Jeanne Jung
- Daniel Karcher
- Christiane Karcher
- mon mari
Marie Madeleine Fuchs – ou plus exactement Maria Magdalena, selon son acte de baptême – vient au monde le 2 octobre 1761, à Strasbourg, et elle est baptisée dans la Wilhelmkirche – autrement dit l’église Saint-Guillaume, paroisse protestante du quartier populaire et artisanal de la Krutenau.
Son père, Johann Jacob Fuchs, appartient avant son mariage à la paroisse luthérienne du Temple Neuf, dans la vieille ville. Il est tisseur de lin, et bourgeois de Strasbourg, c’est à dire qu’il paie des impôts.
En 1789, nous explique Roger Jacquel, il y avait à Strasbourg 5528 bourgeois (Bürger) inscrits au registre de la taille (Stallgeld), qui représentaient avec leurs familles environ 27000 personnes, un peu plus de la moitié de la population totale, et 3871 manants ( Schirmer), la plupart journaliers et manoeuvres, qui n’exerçaient pas de droits politiques.
Les deux grands pères de Marie Madeleine, Jacob Fuchs et Johann Niclaus Listenmann, sont également tous les deux bourgeois de Strasbourg et tisseurs de lin. Du côté des Listenmann, l’arrière grand-père, Johann Niclaus Listenmann – le vieux – était déjà tisseur de lin à Strasbourg, à la fin du 17è . Probablement est il né autour des années 1680, quand les armées de Louis XIV ont pris l’Alsace – et la ville de Strasbourg – aux princes de Habsbourg.
L’industrie du tissage du lin en Alsace remonte au Moyen-Âge. Mais la culture du lin est une des plus anciennes cultures de l’homme, largement attestée en Egypte. Les tissus du 18ème siècle sont majoritairemnt de laine, mais aussi de lin, qui fait des toiles solides utilisées aussi bien dans le linge de maison que dans les toiles fines, dentelles et broderies partout dans le royaume de France. En Alsace, une toile traditionnelle, le Kelch, nous raconte aujourd’hui encore la tradition du tissage du lin en Alsace.
Certaines grandes familles de l’industrie textile alsacienne, tels les Schlumberger, ont dans leurs arbres généalogiques des tisseurs de lin au 18ème siècle.
Marie Madeleine naît donc dans une famille de tisseurs de lin, famille protestante très implantée par sa mère dans la paroisse de Saint Guillaume, dans le quartier artisanal et populaire de la Krutenau, à quelques pas de l’Ill dont les tisseurs de lin ont besoin pour exercer leur métier, qui requiert le lavage des fibres de lin.
En août 1725, les grands parents de Marie Madeleine, Johann Niclaus Listenmann et Maria Margaretha Schmutz, s’étaient déjà unis dans cette même église Saint Guillaume, dont leurs parents avant eux étaient paroissiens. Sur tous les actes de la lignée de Marie Madeleine, les hommes et les femmes signent, comme souvent en pays protestant, où il est important de savoir lire et écrire, pour pouvoir lire soi-même la Bible.
Je ne connais pour l’instant qu’un seul frère ainé à Marie Madeleine, Johann Jacob Fuchs, tisseur de lin comme son père. Johann Jacob se marie en janvier 1778 en l’église Saint Guillaume, sa soeur a 17 ans.
Le 16 fevrier 1786, Maria Margaretha Listenmann, la mère de Marie Madeleine, âgée de 57 ans, meurt. Sa fille a presque 25 ans et n’est toujours pas mariée.
Dix huit mois plus tard, le 10 janvier 1788, c’est le père de famille, Johann Jacob, qui meurt à son tour, âgé lui aussi de 57 ans seulement. Comme pour toute la famille depuis plusieurs générations, c’est à Saint-Guillaume qu’a lieu l’office religieux pour sa sépulture.
Cinq jours plus tard, le 15 janvier 1788, Marie Madeleine, 26 ans, épouse en l’église protestante Saint Pierre le Jeune, dans la vieille ville, Johann Jung, jeune maître cordonnier du même âge. Ce mariage, 5 jours à peine après le décès de son père, et dans une paroisse qui n’est pas la sienne, reste un mystère pour moi. Bien sûr, les bans ont été proclamés deux fois, comme c’est indiqué dans l’acte, donc forcément avant le décès du père de Marie Madeleine.
Ein Tausend Sieben hundert Achtzig Acht, Dienstags den fünfzehnten Januar nach Mittag um 3 Uhr Sind Zu S. Wilhelm nach zweymal daselbst und bei uns geschehener Proclamation, ehelich eingesegnet worden
Johannes JUNG, lediger Burger und Schumacher allhier, weyl. Niclaus Jung,
gewesenen Postillons und Schirmers allhier mit Fr. Maria Salome, geboren
JESELin, ehelich erzeugter nachgelassener Sohn; und Jgfr. Maria Magdalena FUCHSin, weyl. Johann Jacob Fuchs, gewesenen Burgers und Leinenwebers allhier mit weyl. Fr. Maria Margaretha, geboren LISTENMANNin, ehelich nachgelassene Tochter.
Mardi le 15 janvier 1788 apres midi à 3 heures apres deux proclamations de bans faites par nous ont été unis en mariage dans l’église Saint GuillaumeJohann Jung, celibataire, bourgeois et cordonnier de ce lieu, fils légitime de defunt Niclaus jung, autrefois postillon et manant de ce lieu avec Maria Salomé, née Jesel; et demoiselle Maria Magdalena Fuchs, fille légitime de défunt Johann Jacob Fuchs, bourgeois et tisseur de lin de ce lieu avec defunte Maria Margaretha née Listenmann
Mais pourquoi n’a-t’on pas reporté le mariage? La mort est elle à ce point présente dans la vie quotidienne qu’un décès aussi proche ne remet pas en cause un arrangement prévu ? Très certainement, même si notre vision actuelle nous présente toujours ce genre d’événements, pas vraiment rares dans nos arbres, comme particulièrement étranges et cachant un mystère. Il est probable qu’il n’y a aucun mystère. Le mariage était prévu, il a eu lieu. Probablement n’a-t’on simplement pas fait la fête, mais l’aurait on fait dans le cas contraire?
Quant à la paroisse différente pour le lieu du mariage, elle n’est pas non plus celle du Temple Neuf, où est né Johan Jung – ou Jean Jung, si vous me permettez désormais de l’appeler du nom avec lequel il va passer à la postérité – ou bien où son père est mort, le 23 septembre 1764, 24 ans plus tôt.
Peut être Jean Jung et sa mère, Marie Salomé Jesel/Joesler, vivent ils maintenant dans la paroisse Saint-Pierre-le-jeune. Peut être d’ailleurs Marie Salomé s’est elle remariée depuis ? On peut également noter que Marie Madeleine, descendante depuis plusieurs générations de bourgeois de Strasbourg, se marie avec le fils d’un Schirmer, un manant ne disposant pas de droits electoraux dans Strasbourg. Jean vient d’être accepté dans la corporations des cordonniers, accédant ainsi au statut de bourgeois, juste quelques mois avant le mariage. Cela ressemble à une mésalliance, pourtant prévue avant le décès du père de la mariée.
L’écrivain Charles Nodier a eu l’occasion de rencontrer Jean Jung à Strasbourg, pendant la Révolution, à l’occasion d’une visite qu’il rendit à Euloge Schneider. Voilà comment il le décrit.
Il s’en fallait de beaucoup que ce cordonnier fût un homme commun; la nature l’avait fait poète; et sa figure lourde, aux traits empâtés, massifs et comme la ébauchés, couronnée de cheveux drus et noirs, que hérissait en touffes divergentes une pommade grossière, s’animait d’une inspiration toute particulière quand il débitait ses Odes et ses Satires.
Ce n’est pas la description d’un beau et vaillant jeune homme qui aurait ravi le cœur de la jeune femme. Alors pourquoi ce mariage ? Mais en fait, pourquoi pas ce mariage, qui permet à une jeune femme plus si jeune d’épouser un artisan et donc de maintenir plus ou moins le rang de ses ancêtres ……
Le 4 décembre 1788, soit onze mois après leur mariage, naît le premier enfant du couple, qu’on nomme Jean, comme son père. Clairement, le mariage des parents n’a pas été précipité parce que la future mariée était enceinte.
Le 14 septembre 1790 nait Chretien Daniel, le second fils du couple, le Sosa 84 de mes enfants.
A Paris et partout en France, la Révolution est encore modérée. Le 14 juillet précédent, Louis XVI a prêté serment à la Révolution. En ce mois de septembre, Necker vient de démissionner. A Strasbourg, dès le début des premières manifestations patriotiques, Jean le père de famille est entré dans la Garde Nationale, où il se distingue par son zèle. Peu à peu, il se range à l’extrême-gauche des révolutionnaires, résolu à soutenir la cause de la classe populaire, dont il est issu, contre les grands bourgeois. Il soutient Euloge Schneider et dans son sillage gagne ses galons dans l’administration révolutionnaire de Strasbourg et sa région, se faisant remarquer par une rigueur très prononcée. On lui donne même le surnom de « Geissel der Gemässigten », c’est à dire Fléau des modérés…
Le 24 septembre 1792 nait une petite fille, Louise Elisabeth Marguerite, qui ne va vivre que quelques mois, jusqu’au 31 mars 1793.
Quand Euloge Schneider est arrêté puis emprisonné le 13 décembre 1793 sur les ordres de Saint-Just, envoyé à Strasbourg par la Convention, le reste de ses partisans tombe rapidement après lui.
Le 25 décembre 1793, Jean Jung est arrêté à son domicile, 10 rue des bouchers, devant ses deux fils en bas âge et sa femme enceinte pour la quatrième fois.
Dans un premier temps, il est interné à l’hôtel de Darmstadt, libéré, puis réarrêté pour être emprisonné à partir du 10 janvier 1794 à Dijon. Il ne sera plus jamais libéré.
Le 3 mai 1794 naît Charles Simonneau, le quatrième enfant du couple. Son père n’aura qu’une fois l’occasion de le voir, à travers les barreaux de la prison de Dijon, où Marie Madeleine s’est rendue.
Peu de temps après, Jean Jung est transféré à Paris, jugé par le tribunal révolutionnaire et l’accusateur public Fouquier Tinville, et exécuté le 17 juillet 1794 – 29 messidor an II – place de la Nation à Paris. Sa dépouille est inhumée dans une des fosses collectives du cimetière de Picpus.
Marie Madeleine est maintenant seule, avec trois fils en bas âge et une belle mère à charge. Les biens de son mari, condamné, ont été saisis par l’administration révolutionnaire, et elle vit probablement de la charité de sa famille ou de ses amis.
Mais le vent a tourné, quelques jours après la mort de son mari, quand Robespierre à son tour a été guillotiné.
Jean Jung n’a pas laissé un mauvais souvenir à ses concitoyens, qui ressentent sa condamnation et son exécution comme étant profondément injustes. Le conseil municipal de Strasbourg va alors aider Marie Madeleine à demander à la Convention la réhabilitation de la mémoire de son mari, et une aide matérielle pour survivre et élever décemment ses enfants.
A t’elle obtenu cette aide, je l’ignore.
Le 24 avril 1796, le petit Charles Simonneau décède au domicile de sa mère, qui vit maintenant au 12 rue de l’hôpital.
Dix ans plus tard, en 1806, ses deux fils s’engagent dans l’armée napolénienne, au régiment du 9e hussards. Jean s’engage le 11 mai 1806, il a 17 ans, 5 mois et 7 jours.
Chrétien Daniel s’engage le 22 juillet 1806, il a 15 ans, 10 mois et 8 jours.
Suite à une suggestion d’un descendant de Jean, j’ai essayé de savoir si les deux garçons avaient été enfants de troupe au 9ème régiment de hussards, sans rien trouver dans les contrôles de troupe. Pourtant c’est un âge bien jeune pour s’engager …
Chretien Daniel est blessé d’un coup de boulet qui lui arrache une jambe à la bataille de Wagram, il est mis à la retraite le 5 février 1810, et obtient un poste réservé dans l’administration. Jean lui est blessé à la main pendant la campagne d’Espagne et mis en réforme le 11 octobre 1812. Tous deux survivent donc aux guerres napoléoniennes et reviennent vivre à Strasbourg, auprès de leur mère.
Chretien Daniel se marie le 8 novembre 1815 avec Sophie Frederique Biermann, originaire de Kunzelsau dans le Baden Würtemberg, et soeur de Chrétien Frédéric Biermann, que sa cousine germaine Marguerite Salomé Fuchs avait épousé le 25 juillet 1809. Chretien Daniel et Sophie vont avoir deux enfants en 1814 et 1816.
Jean se marie le 14 octobre 1819 avec Elisabeth Fournier, avec laquelle il va avoir sept enfants. Il travaille, comme son frère, dans l’administration des ponts et chaussées où il a eu lui aussi au départ un emploi réservé et où il fait son chemin.
Vers 1830, il est muté à Offendorf, et s’est là qu’il s’installe avec sa famille, et sa mère Marie Madeleine.
Marie Madeleine meurt le 10 avril 1832, à Offendorf, dans la maison de son fils. Elle a 70 ans.
A son décès, elle a 8 petits enfants, qu’elle aura eu le temps de connaitre un peu. Si du côté de son fils Chrétien Daniel mes deux enfants sont ses seuls descendants, du côté de l’ainé, Jean, elle a une nombreuse postérité, que je n’ai pas encore pu retrouver en totalité.
Sources et liens
- Jean Jung dans Le Maitron – notice JUNG Johannès, ou JUNG Jean, dit Jean Jung le cadet, surnommé Le Fléau des modérés , version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 20 février 2009.
- Roger Jaquel, « Un terroriste alsacien, le cordonnier Jung », dans le recueil « La Bourgeoisie alsacienne », Publications de la Société savante d’Alsace et des régions de l’Est, Strasbourg-Paris, 1954,
- Eric Hartmann – La Révolution Française en Alsace et en Lorraine
- Site sur le Cimetière de Picpus