Depuis la loi du 28 octobre 1997, le service militaire a été suspendu en France. Il avait été institué par la loi dite Jourdan, en septembre 1796, quand la jeune République devait faire face à la puissance alliée des royaumes européens. Le contenu et les formes du service militaire ont souvent changé pendant les deux siècles où il a été en vigueur. Le 15 juillet 1889, la loi Freycinet vient apporter de nouvelles modifications au service militaire, avec entre autre un passage de 5 ans à 3 ans de la durée du service.
Je suis en train de collecter et d’analyser le recrutement de la classe 1894 du canton de Vouillé, le canton et la classe de François Reau. Même avec un tableur Excel et ses fonctions de recopie et de tri, ca n’est pas simple. Alors j’imagine le travail du maire à l’époque, ça ne donne pas bien envie de briguer des fonctions municipales. Quand je serai venue à bout de ce travail, j’essaierai d’en faire une analyse statistique. Ce recensement des jeunes gens de 20 ans, c’est une source passionnante d’informations.
Aujourd’hui, je vais me contenter de vous parler un peu de ce que j’ai découvert sur mon arrière grand père à travers sa fiche matricule.
François Reau est né le 25 juin 1874, il fait donc partie de la classe 1894. Il est né à Jazeneuil, canton de Lusignan, mais depuis le décès de son père Hilaire en 1885, il est revenu avec sa mère, veuve, et ses frères et soeurs, vivre sur la commune de Chalandray, canton de Vouillé.
Conformément à la loi, fin décembre 1894, le maire de Chalandray établit la liste des jeunes gens de la commune nés entre le 1er janvier et le 31 décembre 1874. La loi est claire, la liste doit être terminée pour le 31 décembre 1894. Il faut ensuite le plus tôt possible, et pour une durée de 8 jours – exactement comme pour la publication des bans – afficher cette liste devant la mairie pour que tous les habitants puissent en vérifier les informations. Gare à celui qui tentera d’échapper au service militaire. Jusqu’à la fin de la période de « service » dont il est redevable, c’est à dire jusqu’à ses 45 ans révolus, si on le retrouve et que ses papiers militaires ne sont pas en règle, il sera ajouté sur la liste de la classe suivante, en tête de liste.
Sur la liste que dresse le maire de Chalandray, il y a au moins 14 noms. Au moins 14, parce que la liste de tirage au sort pour le canton, que j’ai reconstituée à partir du registre matricule en ligne sur le site des Archives Départementales de la Vienne, présente des trous …. dont je cherche l’explication.
Mi janvier 1895, le maire envoie à la sous préfecture sa liste, et dès la fin du mois de janvier a lieu à Vouillé la journée de « tirage au sort ». Puisque tout homme doit servir au moins une année, ce tirage va déterminer, suivant le numéro que l’on tire, si on va faire trois ans complets, ou un peu moins. En règle générale, sur cette classe 1894 du canton de Vouillé, je n’ai pas vu grand monde qui ait fait plus de deux ans. Enfin, cette fois là, parce qu’ils sont tous repartis dans la territoriale en 1914 et 1915, tous, même ceux qui avaient échappé pour raison de santé non exemptante, à l’année obligatoire de service.
Donc fin janvier 1895, alors qu’il doit faire très froid cette année là, comme je l’ai lu en parcourant les journaux de la Vienne du mois de janvier, à la recherche de la date du recensement – sans succès – ils sont au moins 132 jeunes gens nés en 1874 à être présents, probablement certains avec leurs père ou leur tuteur, et avec tous les papiers indispensables pour obtenir une dispense et ne servir qu’une année au lieu des trois risquées. Le sous préfet est là, tous les maires du canton avec une copie de leur liste, quelques gendarmes aussi comme la loi le veut, pour éviter d’éventuels problèmes. S’est on réuni dans une grange ? Il ne doit pas y avoir tant de salles assez grandes à l’époque à Vouillé pour accueuillir 200 personnes. J’imagine le bruit, les odeurs, le stress aussi de tous les présents.
Avec qui François est il venu ? Peut être un oncle, peut être sa mère Sophie David, peut être Désiré Moreau, le meunier du moulin de Rouillé chez qui François travaille comme domestique depuis quelques années. Il a l’habitude du travail, François, il a été placé dès le retour de la famille à Chalandray, tout d’abord chez Joseph Veillon, comme domestique au Chateau, à Chalandray, puis comme domestique à nouveau, au moulin de Rouillé. Du coup, il n’a pas eu le temps d’aller à l’école, d’apprendre à lire ou même à signer son nom. Quand le sous préfet va lui demander son niveau d’instruction, il notera O, ce qui est bien rare cette année là dans le canton de Vouillé. Globalement, les recrues ont un minimum de niveau d’éducation 2, ils savent à peu près lire et écrire.
Mais François lui n’a pas appris, il a travaillé pour aider sa mère à nourrir les enfants, et ses frères et soeurs eux aussi dès leur 12 ou 13 ans sont placés.
François est le fils ainé d’une veuve, à ce titre il a droit à une dispense de service militaire, il n’aura qu’une année de service à faire. On a dû l’aider à préparer les papiers et les justificatifs qu’il doit fournir puisque le jour du recensement les papiers sont en règle, la mention de sa dispense est reportée sur sa fiche matricule.
François tire le numéro 25, sans sa dispense il était probablement bon pour servir trois ans dans les armées de la République.
Courant février 1895 a lieu le conseil de révision, qui vient s’installer à Vouillé, en séance publique, pour vérifier l’état de santé des conscrits. Quand décide t’on de l’affectation et sur quels critères? Encore un des nombreux points sur lesquels je dois me documenter.
Sur les 14 conscrits de Chalandray, un s’est engagé en 1893, quatre sont ajournés pour l’année suivante pour cause de faiblesse de constitution, et deux sont classés service auxiliaire, leur constitution les rendant inaptes au service armé, du moins en temps de paix. Ils sont donc sept à quitter Chalandray, certains le 12 novembre 1895, les autres le 16 novembre 1895 selon leurs affectations. J’imagine que comme pour le conseil de révision, ce départ doit être l’objet de festivités au canton.
Le 12 novembre 1895, François, qui a été jugé bon pour le service, part pour le 113ème régiment d’infanterie avec cinq autres garçons du canton. Il sera libéré le 22 septembre 1896 en attendant son passage dans la réserve, muni d’un certificat de bonne conduite.
[François Reau – Sosa 28]