Aucun thème précis pour cette nouvelle participation du blog au Challenge AZ initié par Sophie Boudarel, de la Gazette des ancêtres, juste une promenade à la rencontre de personnes ou d’anecdotes rencontrées au cours de mes recherches
Je vous ai raconté sur ce blog l’histoire d’Antoine Tudesque, bagnard, déporté en Nouvelle Calédonie, sur l’ile Nou. Antoine était le cousin germain de mon arrière-grand-père François Risso.
A la fin de sa peine, en avril 1892, il doit rester en Nouvelle Calédonie et s’y reconstruire une vie. Dans son cercle d’amis proches, en 1908, se trouve la famille Debelle, Louis Debelle et Hortense Varin, tous deux anciens relégués, et leurs enfants Gabriel et Marie Louise. En 1908, donc, la petite fille accuse Antoine Tudesque de viol. Il est à nouveau condamné, alors qu’il proclame son innocence, et meurt peu de temps plus tard, au bagne.
J’ai voulu en savoir plus sur Louis Debelle et Hortense Varin, et obtenu leurs dossiers de bagnards.
Voici leur histoire.
Louis Debelle nait le 24 novembre 1860, à Chateau-Larcher, dans la Vienne, de Louis Debelle et Louise Godeau. Du moins, c’est ce qui est inscrit sur son dossier de bagnard, qui reprend son dossier de jugement de cour d’assises.
Le problème, c’est que le Louis Debelle, né le 24 novembre 1860 de Louis Debelle et Louise Gadeau – et pas Godeau – , est mort le jour même de sa naissance.
Le couple Louis Debelle et Louise Gadeau n’a pas d’autre fils qui corresponde en âge à notre futur bagnard. Leur seul autre fils, Léon Louis Eugène, né en 1866, meurt en 1891 à Kotonou, où il est sous officier dans les tirailleurs.
J’ai donc cherché s’il y avait d’autres Louis Debelle, nés vers la même période, habitant Chateau-Larcher, et j’ai trouvé un certain Louis Debelle, né le 13 août 1859 à Chateau-Larcher, au village d’Ecrouzilles, de Louis Debelle, journalier et de Marguerite Vaillant. Je vous présenterai au fur et à mesure du récit les documents qui permettent de prouver qu’il s’agit bien du futur bagnard.
Ce Louis fait partie d’une fratrie plus nombreuse, dans laquelle beaucoup d’enfants meurent en bas âge. Le 28 juin 1871, le père meurt à 49 ans, laissant la mère avec les deux enfants survivants les plus jeunes : Louis et Gabrielle, enfant posthume.
C’est le 24 juin 1872, quasiment un an après la mort de son père, que Louis est convoqué pour la première fois devant le juge du tribunal correctionnel pour attentat à la pudeur sur un enfant de 6 ans.
L’article indique que la mère du jeune Louis Debelle est veuve depuis quelque temps – depuis un an en fait – et que le prévenu n’a que 11 ans et 7 mois – alors que si le fils de Marguerite Vaillant est bien le bon Louis Debelle, il a en fait 12 ans, 10 mois et 11 jours …
Cette première affaire judiciaire est évoquée dans le dossier de bagnard de Louis Debelle. Mais en raison de l’âge du jeune garçon, aucune condamnation n’est prononcée. Il est néanmoins envoyé dans une maison de correction, à la Colonie Saint-Hilaire, jusqu’à ses 18 ans révolus.
Plus loin, dans le même dossier il est néanmoins indiqué que les faits présentaient une gravité exceptionnelle. Le jeune Louis – 12 ans – s’était livré sur la petite fille de 6 ans à des « attentats contre nature ». Il a été acquitté en raison de son âge, mais les faits sont conservés dans le dossier individuel qui va le suivre en Nouvelle-Calédonie.
La « colonie agricole et pénitentiaire de Saint-Hilaire » est une petite section agricole, créée en 1853 sous le nom de « Colonie de Boulard » , dépendante de la maison centrale de Fontevrault, dans le Maine-et-Loire, devenue ensuite Colonie de Saint-Hilaire.
En août 1877, Louis Debelle a 18 ans et sort de son établissement de redressement. Il retourne à Chateau-Larcher, travaille comme domestique à Romagne.
En 1879, comme tous les jeunes gens nés en 1859, Louis Debelle est recensé par la mairie de son domicile, Chateau-Larcher.
Le 20 janvier 1880 est établie à Vivonne la liste du tirage au sort pour le conseil de révision. Louis y tire le numéro 32, il est bon pour le service, dispensé comme aîné de veuve, conducteur.
Le conseil de révision doit avoir lieu le 21 avril 1880 à Vivonne. La fiche matricule de Louis ne dit pas s’il est présent ou non, juste qu’il est dispensé, ainé de veuve. Il devrait donc faire un an de service et partir en septembre 1880.
Mais Louis est il vraiment présent au conseil de révision ?
Le 10 mars 1880, vers 5 heures du soir, il s’est livré à un attentat à la pudeur sur une petite fille de 8 ans, qu’il aurait probablement violée si un passant ne l’avait fait fuir. Dans sa fuite, il a été reconnu par un voisin, un certain Richard, qui l’identifie. Cette agression est racontée dans le journal l’Avenir de la Vienne. Louis est probablement en prison quand se déroule le conseil de révision, attendant son procès, mais je n’ai trouvé aucun élément pour le confirmer pour l’instant.
En revanche, sa fiche matricule lève tous les doutes sur l’identité de notre Louis Debelle, bagnard.
Contrairement à ce qui est indiqué dans le dossier d’assises de Louis Debelle – et ensuite dans sa fiche matricule de bagnard à l’ile Nou – il est né le 13 août 1859 de Louis Debelle, journalier et de Marguerite Vaillant, son épouse. Si les descendants de Louis Debelle, cordonnier, et de Louise Gadeau, son épouse, passent sur ce blog, qu’ils soient rassurés, ils n’ont rien à voir avec le prédateur sexuel envoyé en août 1880 au bagne de Nouvelle-Calédonie par la cour d’assises de Poitiers.
Voici une première erreur judiciaire réparée.
Revenons au procès en cour d’assises de Louis, que j’ai pu suivre grâce à la presse en ligne.
Il se tient donc le 17 août 1880, le même jour qu’une autre affaire. La justice est rapide – trop ? – en ces temps là.
Condamné à 8 ans de travaux forcés, Louis Debelle est transféré à Saint-Martin-de-Ré, où il est écroué au dépôt le 9 septembre 1880. Le 9 février 1881, il embarque sur le Tage, à destination de la Nouvelle Calédonie.
Le 21 aout 1888, il a purgé sa peine de travaux forcés et commence les 10 ans de surveillance. Son dossier indique que le 8 mars 1902 il est réhabilité. Ca ne signifie pas que son crime est effacé, ou qu’il en est innocent, mais juste qu’il a purgé sa peine et qu’on estime que le temps passé au bagne et en surveillance lui a permis de revenir dans le droit chemin, de faire à nouveau partie de la société.
Mais il reste, comme tous les anciens bagnards pour motif criminel, assigné à résidence en Nouvelle Calédonie.
Parlons maintenant de sa future compagne, Hortense Hubertine Varin.
Hortense vient de la région de Bayeux, en Normandie. Née le 4 mars 1864 à Longraye, elle est la fille d’un couple de journaliers, Louis Charles Varin et Adelaïde Duvey. Elle appartient à une importante fratrie de filles.
Hortense n’a pas encore 20 ans quand elle est condamnée la première fois, pour vol, par le tribunal correctionnel de Bayeux, le 5 janvier 1884. Cette première condamnation de 2 ans de prison est importante, mais je n’ai pas retrouvé dans la presse les circonstances de son arrestation.
Hortense est envoyée en prison à Doullens, dans la Somme, où elle purge sa peine du 25 janvier 1884 au 5 janvier 1886. A cette époque, la notion de remise de peine n’existe pas.
Ancienne forteresse destinée à protéger les frontières du nord de la France, à partir de 1835 la citadelle de Doullens devient officiellement une prison qui se spécialise dans l’accueil des femmes à partir du milieu du 19è siècle. Elle reçoit des femmes condamnées à plus d’un an de détention, jusqu’à 500 détenues, employées généralement à des travaux de couture, sous la surveillance de religieuses de l’Ordre de Saint-Joseph.
Le dossier d’Hortense indique que pendant ses différentes incarcérations, elle a effectivement travaillé dans la confection.
Je retrouve Hortense en décembre 1890. Elle vit à Vaucelles, dans le Calvados, avec sa soeur Zoe-Louise. Elle y est servante, Zoe-Louise, qui est mariée et mère de famille, est journalière. Les deux femmes sont arrêtées ensemble pour vol et complicité de vol.
Elles passent toutes deux devant le tribunal correctionnel de Bayeux le 18 décembre 1890.
Hortense écope de 4 mois de prison, qu’elle va effectuer à Bayeux, du 13 décembre1890, jour de son arrestation, au 18 avril 1891, et Zoé de 2 mois de prison.
Hortense était enceinte quand elle a été arrêtée, elle a passé une partie de sa grossesse en prison, et trois semaines après sa libération, le 11 mai 1891, elle accouche à l’Hotel Dieu à Caen d’un garçon, qui va être nommé Auguste Désiré Varin, de père inconnu, qu’elle confie probablement à l’assistance publique. J’ai suivi un peu le parcours d’Auguste, classe 1911, poilu de 14-18, blessé plusieurs fois, cité à l’ordre de son régiment, et qui n’a probablement que peu connu sa mère.
Le 10 octobre 1891, Hortense comparait à nouveau pour tentative de vol devant le tribunal de Bayeux. Cette fois ci, elle est envoyée à Alençon, du 5 décembre 1891 au 25 mars 1892.
Hortense, récidiviste , est maintenant passible de la relégation, cette peine supplémentaire qui permet d’envoyer de petits délinquants, personnes de mauvaise vie, hors de la société de l’époque, loin, en Nouvelle-Calédonie.
Mais Hortense continue ses larcins, seule ou avec des complices.
Elle tombe alors dans le cadre de la loi du 27 mai 1885 sur la relégation des récidivistes.
- Article premier : La relégation consistera dans l’internement perpétuel sur le territoire des colonies ou possessions françaises des condamnés que la présente loi a pour objet d’éloigner de France.
- Art. 9 :Les condamnations encourues antérieurement à la promulgation de la présente loi seront comptées en vue de la relégation conformément aux précédentes dispositions. Néanmoins, tout individu qui aura encouru, avant cette époque, des condamnations pouvant entraîner dès maintenant la relégation, n’y sera soumis qu’en cas de condamnation nouvelle dans les conditions ci-dessus prescrites.
- Art. 10 : Le jugement ou l’arrêt prononcera la relégation en même temps que la peine principale; il visera expressément les condamnations antérieures par suite desquelles elle sera applicable.
- Art. 12 : La relégation ne sera appliquée qu’à l’expiration de la dernière peine à subir par le condamné. Toutefois, faculté est laissée au Gouvernement de devancer cette époque pour opérer le transfèrement du relégué.
Le 4 janvier 1896, Hortense comparait à nouveau devant le tribunal correctionnel de Bayeux, pour vol d’effets à Mme Gouesnel, habitante de Torteval. Passible de la relégation, et à ce titre elle a droit à un avocat, Maitre Abraham. Elle est condamnée à 6 mois de prison – pour le vol – et relégation – en tant que multirécidiviste. Sa peine de prison , qu’elle effectue à Rennes, doit durer jusqu’au 24 juin 1896.
Avant de prononcer la relégation, la cour a vérifié si la famille d’Hortense pouvait être présente, être un cadre pour l’aider. Mais le constat est clair. Hortense ne peut attendre aucun soutien de sa famille.
Hortense embarque le 29 décembre 1896 sur le navire La Calédonie à destination de Nouméa. Elle arrive à l’ile des Pins le 25 février 1897.
Le 15 décembre 1904, elle est admise à la relégation individuelle, ce qui signifie que sans pouvoir quitter le territoire, elle n’est plus internée.
A l’ile aux Pins, elle a rencontré Louis Debelle, et s’est mise en couple avec lui. Que sait elle de son passé, que sait il d’elle ? La justice est passée, ils ont tous deux purgé leur peine, pourquoi ne pourraient ils pas reconstruire leur vie, et aider à peupler la colonie ?
Leur premier enfant, Marcel Gabriel, nait le 16 avril 1901, à l’ile des Pins, déclaré de père inconnu, enregistré sous le nom de sa mère. Il est reconnu par son père le 5 novembre 1902, par un acte passé à Nouméa.
Le 16 mars 1903 Hortense met au monde à Nouméa une fille, Marie Louise Rose Angèle, que les parents, Louis Debelle et Hortense Varin, reconnaissent le 20 décembre 1904.
C’est cette petite Marie Louise qui accuse Antoine Tudesque de viol alors qu’elle a 5 ans, en 1908. Mais comme le souligne l’avocat d’Antoine dans une supplique qui est signée par Antoine, les dires de la petite fille posent problème et un autre coupable serait possible.
Le 15 juin 1908 la cour criminelle de Noumea m’a condamné à 20 ans de travaux forcés pour viol sur la petite Marie Debelle agée de 5 ans, fille naturelle de Hortense Varin, femme relevée de la relégation, reconnue par Debelle, réhabilité.
Sur la déposition de cet enfant de 5 ans a qui au prealable l’on a fait la leçon de choses l’on a basé l’accusation et l’on m’a condamné innocement.
Car il est inadmissible qu’une enfant de 5 ans soit au courant des appelations des parties sexuelles et qu’elle connaisse par le détail l’usage des différents organes que possède l’homme et la femme.
A l’instruction cette petite fille dépose : « Papa Antoine m’a pris sur lui et m’a mis sa quequette sans sa petite matrice ».
A l’audience cette enfant, à qui dis je l’on a fait la leçon, ne peut répéter ce que l’on lui a appris a réciter et pleure devant la cour criminelle et ne veut rien dire. Le mot matrice se trouve dans la bouche et de la mère et de l’enfant.
L’on a prétendu que le mal que j’avais à ce moment : blennoragie avait été dans le contact transmis à la petite Marie _ il est inadmissible que pour transmettre ce mal l’opération aurait du avoir lieu, à aucun moment il n a eu lieu.
Tenant un debit j’ai vu l’enfant venir chez moi un dimanche prendre 1 litre de vin et s’en aller et c’est 48 heures après que la maladie en question se déclare, alors que chez les adultes elle n’apparait que 8 jours après au minimum.
L’enfant est reconnu malade à la visite médicale mais depuis quelle date?
Debelle le père de la victime avait eu une discussion avec moi bien antérieurement au fait: aussi la vengeance s’annonce dans ce fait.
Papa va me battre déclare la petite Marie à l’instruction. Quel papa si ce n’est Debelle?
La crainte de l’enfant devant la Cour où elle ne veut parler dénote clairement une leçon apprise, et devant la Justice l’enfant a peur et ne veut rien dire.
Un fait nouveau qui a un certain rapport à ma condamnation.
Le nommé Ardène vient d’être condamné à 5 ans de travaux forcés pour un fait sodomique sur le frère de la petite Marie et dans les mêmes conditions quant au mal. Cette coïncidence est frappante, les mêmes parents, toujours la même famille, les mêmes constatations, mêmes faits analogues qui dénotent que la Justice a été mystifiée dans mon affaire, si elle ne l’est pas encore dans l’affaire Ardène.
Tudesque a le malheur d’être pauvre, d’être illettré sans protecteur et néanmoins il affirme être innocent. Aussi vient il confesser Monsieur le Ministre de faire procéder à un supplément d’enquête et d’information au sujet de ma condamnation. L’analyse des charges que je releve ainsi que la comparaison des deux affaires provient d’une manière frappante non innocente.
C’est avec humilité et respect que l’infortuné attend votre justice. (orthographe d’origine)
En résumé, Louis Debelle, condamné en métropole pour des faits d’agression sexuelle sur mineures, a deux enfants de 7 ans et 5 ans. Ses deux enfants sont victimes d’un viol, dont deux de ses connaissances se retrouvent accusés ….
A t’on à un seul moment interrogé le père? S’est on au moins posé la question, au lieu de baser l’accusation uniquement sur les déclarations d’une enfant de 5 ans visiblement terrorisée par son père ?
Antoine Tudesque meurt avant que son procès soit révisé.
Gabriel Debelle meurt sans descendance en 1949. La petite Marie se marie en 1923 et a une descendance, qui habite encore probablement à Noumée. Elle meurt en 1985.
Quant à ses parents, j’ignore ce qu’il est advenu d’eux après le procès d’Antoine. J’ai essayé de retracer leur parcours sans me laisser submerger par les sentiments que j’éprouvais pour Louis Debelle. Et je suis persuadée que l’accusation portée contre Antoine Tudesque est une erreur judiciaire, et que le coupable du viol des deux enfants est leur père, un bien sinistre individu.
Sources et liens
- AD86 – Etat Civil Chateau-Larcher
- AD86 – Registre matricule de Louis Debelle – Matricule 131 Classe 1879 – vue 131/502
- Anom – Dossier individuel de bagne – Louis Debelle – FR ANOM COL H 144
- AD14 – Etat civil
- Anom – Dossier individuel de bagne – Hortense Hubertine Varin
- Gallica – Le temps de la colonisation pénale
- Criminocorpus – Élise Yvorel. L’influence des réformes de l’administration pénitentiaire sur la vie quotidienne des colons. L’exemple de Saint-Hilaire (1930-1960), Musée Criminocorpus publié le 23 janvier 2009, consulté le 10 novembre 2020.
- Cirminocorpus – Loi du 27 mai 1885 instaurant la relégation des récidivistes, Musée Criminocorpus publié le 7 juillet 2006, consulté le 11 novembre 2020.Permalien : https://criminocorpus.org/fr/ref/25/17124/
- Bernard Guinard – Le Tage
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- Wikipedia – Citadelle de Doullens
- La citadelle de Doullens