Pour cette nouvelle participation du blog au Challenge AZ initié par Sophie Boudarel, de la Gazette des ancêtres, je vous emmène sur les terres ancestrales de ma mère, dans le village de Latillé en Poitou.
Si vous suivez mon blog, vous savez déjà que le sujet des analyses génétiques à but récréatif, dans le domaine de la généalogie, est un sujet qui m’intéresse. Mon frère, ma sœur et moi avons fait tester notre ADN, et j’ai également fait tester l’ADN de maman.
J’entends souvent dire qu’avec une analyse autosomale, on peut avoir une idée de ses origines, des origines de ses ancêtres. Bon nombre de Youtubeurs ont proposé récemment des videos sur le sujet. Alors pourquoi ne pas vérifier, avec les résultats de l’analyse autosomale de maman, le niveau d’exactitude de cette recherche d’origine ?
Voici déjà à quoi correspond la carte dite de ses origines pour FamilyTreeDNA, qui a effectué l’analyse dans ses laboratoires d’Houston, au Texas.
FTDna propose donc des origines à 52% sur les iles britanniques, à 46 % sur l’Italie et la Grèce.
J’ai téléchargé le fichier des données brutes de maman chez MyHeritage pour profiter de leur analyse. Voici quelles origines ethniques la société me propose.
L’analyse est encore plus étonnante : 44% Italie, 15% Péninsule ibérique, 39% Europe du Nord, et même 1% au Nigeria.
Si je souhaitais tourner une video sur Youtube racontant comment j’ai testé mon ADN , je n’aurais pas besoin de surjouer la surprise … parce que clairement, cette répartition des origines de maman correspond assez peu – en fait absolument pas – à son ascendance telle que les actes permettent de la reconstituer, entre Cholet – Parthenay et Vouillé, depuis que les registres paroissiaux sont disponibles.
J’ai préparé une cartographie des lieux de naissance des ancêtres de maman, sur 8 générations, maman étant la génération 1, pour tous les ancêtres dont je connais la date et le lieu de naissance de façon sourcée. Cela représente 117 individus – les ancêtres en implexe de maman n’ont été comptés qu’une fois dans cette base, qui couvre une période de 1672 à 1908. J’aurais pu ajouter une ou deux générations supplémentaires, bien que très parcellaires, sans modifier véritablement la carte.
Mis à part la branche patronymique de maman, la famille Rault, qui vient des alentours de Cholet et arrive en Gâtine vers 1760, toutes les autres branches de maman, sans exception, sont nées et ont vécu dans l’ancien Poitou, dans une région actuelle qui forme quasiment un triangle entre Parthenay, Saint Maixent et Poitiers. Dans l’ascendance de maman, seule une enfant trouvée, son arrière grand mère paternelle Edvige Colnay, représente un mystère et pourrait apporter des origines différentes. Néanmoins, cette option ne résiste pas longtemps à l’analyse. Un bébé déposé au tour de l’hôpital de Poitiers en 1848 était vraisemblablement né d’une femme de la région proche. Et si le père de l’enfant était étranger à la région, je ne suis pas sûre que cela suffise à modifier de façon significative la répartition géographique de l’ADN de maman.
Alors, pourquoi les deux sociétés me proposent elles à première vue des origines ethnographiques britanniques ou italiennes quand la généalogie me raconte le Poitou, uniquement le Poitou, depuis le 18è siècle ?
Avant de suspecter que les parents biologiques dans l’ascendance de maman n’ont rien à voir avec les parents officiels, revenons sur la façon dont fonctionne l’estimation d’origine ethnographique à partir d’une analyse ADN génétique.
Si vous lisez l’anglais couramment, je vous conseille de lire l’article d’UCL concernant cette estimation; sinon, voici en substance ce qu’explique l’article – en prenant en compte le fait que je ne suis pas biologiste, donc je peux avoir mal compris une explication, et que le texte est en anglais ….
Quand vous testez votre ADN autosomal, vous avez une vision des gênes reçus de vos ancêtres 8 à 10 générations au-dessus de vous au maximum. Mais ce ne sont pas tous vos ancêtres de l’époque, juste une petite partie de vos milliers d’ancêtres potentiels il y a 350 ans environ. Si vos ancêtres viennent d’un peu partout, vous avez déjà perdu une partie de votre origine géographique dans l’ADN que vous testez. Tous vos ancêtres sont bien vos ancêtres généalogiques – « pedigree ancestors » – mais seule une petite partie d’entre eux sont vos ancêtres génétiques – « DNA ancestors ». N’oubliez pas que vous héritez lors de la conception de 50% de l’ADN de chacun de vos parents biologiques, de façon aléatoire. Et le loto de l’ADN s’est ainsi reproduit depuis la nuit des temps. Vous n’avez pas dans votre génome un bout de gêne entier vous reliant à votre aïeul néandertalien, vous portez juste quelque part un marqueur génétique, correspondant à une mutation, que les scientifiques ont relié au génome de l’homme de Neandertal. C’est très différent, et rarement expliqué.
Pour estimer vos origines ethniques, le laboratoire d’analyse va identifier dans votre ADN des sections qui correspondent à une base de données référentielle qui leur est personnelle. Vous imaginez tout de suite les deux obstacles majeurs :
- l’analyse ne porte pas sur la totalité des marqueurs de votre ADN – une analyse complète de votre ADN coûte beaucoup plus de 1000 euros, très loin des tarifs de l’ordre de 80 dollars qui sont actuellement disponibles pour les tests récréatifs
- le laboratoire compare vos marqueurs à une base de données faite principalement à partir des résultats de ses clients, donc forcément partielle et actuellement pas suffisamment précise.
La répartition géographique peut assez facilement déterminer une origine à l’échelle continentale, faire une différence entre des ancêtres africains ou asiatiques. Si vous êtes né en Amérique Latine, l’analyse devrait vous dire à peu près correctement votre pourcentage d’appartenance à des origines d’Afrique sub-saharienne, européennes ou amérindiennes. Mais si vos origines à une dizaine de générations sont totalement européennes, la situation se complique. Ce que le laboratoire va pouvoir vous dire avec une quasi-certitude, c’est que votre ADN pointe exclusivement vers une origine européenne, au sens large. Mais évidemment, ce n’est pas ce que les clients des laboratoires leur demandent. Imaginez votre tête en découvrant que vous avez payé 80 euros pour avoir la confirmation que vous êtes européen, quand vous vouliez savoir si vous veniez plutôt d’Alsace ou du Périgord ? Donc, les laboratoires, à partir de ce qu’ils savent des clients qu’ils ont testés, à qui ils ont demandé de dire où leurs grands parents sont nés, vont comparer vos marqueurs avec les marqueurs de leur base de données et extrapoler des « origines géographiques » plus ou moins pertinentes. Plus leur base de données sera large et couvrira une population diversifiée au niveau ethnique et géographique, et plus le résultat sera précis. Si sur 100 personnes dans la base, 99 sont d’origine anglaise, les chances que vous soyez catégorisé comme originaire des îles britanniques sont considérables. Plus la base de données référentielle des laboratoires augmentera, et plus l’origine ethnique qui vous sera proposée se précisera et ressemblera à votre cocktail ethnique personnel.
Revenons sur les résultats de maman, dont la généalogie papier, la seule qui puisse être « complète » ou du moins pas aléatoire, place son origine ethnique dans le Poitou. Le laboratoire auprès duquel son ADN a été testé a majoritairement une base de références composée de clients américains, dont les origines viennent partiellement d’Europe. Il est probable que les résultats des analyses de maman, à partir des bases de données et des algorithmes actuels, ne puissent pas faire de différence entre Iles Britanniques et France. D’ailleurs, pour les deux compagnies, FTDna et MyHeritage, l’ethnicité France – si tant est qu’elle puisse exister, mais c’est un autre débat – ne semble pas encore présente. Donc les origines de maman ne sont pas France, parce que la base de données ne prévoit pas encore ce cas.
En septembre, Ancestry a mis à jour sa base de données, et les résultats ont été étonnants, et beaucoup plus précis pour tous les clients français – dont je fais partie.
Voici mes résultats chez Ancestry, avant mise à jour et après mise à jour.
Ancestry précise que cette mise à jour a été effectuée en incluant 13 000 nouvelles références et 17 nouvelles régions dans sa base de comparaison. Parmi les régions ajoutées, la France. Par la magie de cette mise à jour, sans que mes résultats bruts aient été modifiés, mes 34% d’origine des îles britanniques sont tombés à 2%.
Comparons maintenant la dernière version d’Ancestry avec celle que MyHeritage me propose actuellement.
Je vous rappelle que les deux représentations graphiques sont faites avec les mêmes données brutes, puisque j’ai téléchargé les résultats d’Ancestry sur le site de MyHeritage. La seule différence vient de leur interprétation des données brutes à partir de la comparaison avec leur base de données référentielle.
Pour résumer, soyez patient. Au fur et à mesure que les bases de données s’élargiront, des mises à jour seront mises en ligne, précisant petit à petit les origines ethniques des clients de ces laboratoires.
Il est inutile actuellement de s’énerver sur cette situation, d’envoyer des mails enflammés à tel ou tel laboratoire. Tout ceci n’est qu’une estimation, à prendre comme telle, sans y prêter plus d’importance, et surtout sans en tirer des conclusions rocambolesques. Non, maman n’est pas la descendante de marchands italiens richissimes installés clandestinement à Poitiers, elle n’est pas une descendante de Cesar Borgia, passé au cours de sa vie par le Limousin. Comme Ancestry ne permet pas de télécharger sur leur site une analyse faite chez FTDna, il convient juste d’attendre que les laboratoires fassent des mises à jour de leur base de référence ….
Si vous tenez vraiment à connaître une partie de vos origines lointaines, faites plutôt un test Y-DNA pour votre lignée paternelle ou Mt-DNA pour votre lignée maternelle. Vous ne testerez qu’une infime partie de votre ascendance, un seul individu à chaque génération pour chacun de ces tests, mais les haplogroupes qui seront déterminés sont précis, fiables, et remontent vos origines à l’âge du Bronze environ pour la lignée masculine, et encore plus loin pour la lignée féminine.
Alors me direz vous, ça sert à quoi de faire une analyse d’ADN autosomal si je ne peux pas en déduire les origines ethniques et géographiques de mes ancêtres? Soyons clair, pour le moment vous n’aurez pas de résultats précis, ce sera juste pour le fun, juste récréatif. Inutile d’en faire une video Youtube de 10 minutes qui donnera sans doute des résultats différents dans quelques mois ou quelques années au rythme des mises à jour des bases de données.
En revanche, si votre objectif est de trouver des cousins plus ou moins éloignés, grâce auxquels vous pourrez percer un mystère généalogique, résoudre une épine généalogique, alors pourquoi ne pas essayer. Bien sûr, vous aurez réfléchi avant aux problématiques de vie privée, de confidentialité des informations ou de découvertes fortuites d’éventuels secrets de famille perturbants avant de franchir le pas. Faites un tour sur internet, les articles de mise en garde fleurissent.
Mais après avoir pesé le pour et le contre, si vous décidez de franchir le pas, ce sont les possibilités de correspondance ADN qui justifieront votre démarche. Les cousinages, les correspondances avec d’autres généalogistes ayant fait la même démarche que vous, et en aucun cas une « origine ethnique » pour le moins imprécise.
Sources et liens
- UCL – Autosomal DNA Test
- Ancestry – Tests ADN-T, ADNmt et ADN autosomal
- Tomydna.fr – Comprendre les tests ADN de généalogie génétique
- CEFG.net – ADN et généalogie