Aucun thème précis pour cette nouvelle participation du blog au Challenge AZ initié par Sophie Boudarel, de la Gazette des ancêtres, juste une promenade à la rencontre de personnes ou d’anecdotes rencontrées au cours de mes recherches
Retournons aujourd’hui dans la famille de Moucheny à Paris, en 1670. Grâce à l’indexation des registres de tutelles par le Projet Familles Parisiennes, j’ai trouvé un acte qui m’a interpellé. Un certain Simon Langlois veuf d’Anne de Moucheny a réuni un conseil de famille pour statuer sur une décision concernant sa fille Marguerite.
Avant de parler de la décision elle-même, regardons qui participe à cette décision dans la famille d’Anne de Moucheny :
- Nicolas Chuppin l’ainé – marchand bourgeois de Paris, oncle maternel à cause de défunte Françoise de Moucheny sa femme
- Nicolas Chuppin le jeune – marchand à Paris – cousin germain
- Jean Chuppin notaire au Chatelet – cousin germain
- Claude de [la] Ferrière procureur au parlement à cause de Magdeleine Chuppin sa femme cousin germain
Puis je intégrer ces nouvelles relations dans ma carte mentale concernant la famille des Moucheny, celle que je vous ai montrée dans mon article A comme Apothicaire?
Voici le schéma incluant ces relations supplémentaires, et dont les bases ne sont pas remises en cause.
Venons en à l’acte.
(1)
advis langlois
1 L an mil six cent soixante dix le vendredy
2 vingt deux aoust pardevant nous antoine frorant _ est
3 comparu Simon langlois marchand drappier bourgeois
4 de paris, lequel nous a dit que Marguerite langlois
5 Majeure usant et jouissant de ses droits fille de luy
6 et de deffunte Anne de Moucheny jadis sa femme ses
7 pere et mere; s’est tellement oubliée et tombée dans
8 de sy grandes faultes, qu’il a esté obligé d’en rendre
9 ses plaintes en justice, pour les causes contenues
10 ausquelles en la declaration et reconnoissance de ladite
11 Marguerite Langlois portée par interogatoire
12 par elle suby, il a esté obligé et conseillé pour
13 l’honneur de sa famille et le repos de sa maison
14 de la faire mettre dans la maison et monastere
15 des filles de la Magdeleine, ou il est besoin de
16 de la faire renfermer Mais d autant qu il desire
17 d avoir au preallable l advis des parens tant
18 paternels que maternels de sadite fille il
19 a iceux requis de comparoir a cette fins par devant
20 nous +aujourd huy Et attendu qu ils sont tous comparus
21 a scavoir Mr Jean de Saint Jean, notaire au
22 Chastellet de Paris Mre claude de St Jean
23 bourgeois de paris Mre Claude de Troyes cy devant
24 notaire audit chastellet, guillaume ?heoué? marchand
25 bourgeois de paris cousins germains paternels,
26 Nicolas chuppin l aisné marchand bourgeois
27 de paris oncle maternel a cause de deffuncte
28 françoise de Moucheny sa femme, Nicolas
29 Chuppin le jeune aussy marchand à paris Mre
30 Jean Chuppin notaire audit chastellet, et Mre Claude
31 de Ferrière procureur en parlement a cause de
32 Magdeleine Chuppin sa femme cousins germains
33 maternels tous par Mre _ guibruns?
(2)
1 procureur audit chastellet fondé de leur procuration
2 passée pardevant Le Roy et son compagnon
3 le douze juillet dernier nous requiroi ledit
4 Langlois de prendre l’advis dudit guibruns auditnom
5 sur ce que dessus sur lequel requisitoire avons
6 audit guibruns pour ??? desdits parens les
7 constituant fait faire le serment convenable en un tel cas
8 accoustumé, apres lequel serment fait, il nous a dit
9 pour sesdits constituants ( qui ont connoissance de
10 la mauvaise conduitte de ladite Marguerite Langlois
11 et de ce qui est exposé cy dessus par ledit langlois
12 son pere ) et suivant leurdite procuration qu il est d advis
13 en approuvant le procedde juste et raisonnable dudit
14 langlois pere que ladite Marguerite Langlois sa
15 fille soit renfermée dans ledit Monastère
16 pour y demeurer le reste de ses jours ou jusques
17 a ce quautrement par ledit langlois son pere et parens
18 en son advis : sur quoy auparavant que faire droit
19 nous avons ordonné qu’il en sera par nous fait rapport
20 au conseil
21 ========
22 Nous disons par deliveration de conseil qu’il est permis audit
23 Langlois de faire renfermer laditte marguerite Langlois
24 sa fille dans ladite maison et monastère des filles de la magdeleine
25 pour y demeurer jusques a ce qu’autrement Il en ayt esté
26 ordonné sur l advis dudit Langlois son pere et de ses dits
27 parents, et ce suivant l advis desdits parens qu’avons
28 homologué
Le vendredi 22 août 1670, Simon Langlois, veuf d’Anne de Moucheny et père de Marguerite Langlois, fille majeure, vient demander l’autorisation de faire enfermer sa fille – majeure, je le rappelle – dans un couvent, jusqu’à ce qu’il change d’avis, en gros ………
Marguerite est majeure, usant et jouissant de ses droits. Cela veut dire qu’elle a au moins 25 ans, puisque la majorité civile est fixée à 25 ans sous l’Ancien Régime. Mais cette majorité et les droits dont elle jouit sont très encadrés.
Jusqu’au 17ème siècle, outre l’autorité royale, la question de l’autorité et de” la police des familles” appartient complètement au père: c’est le droit de correction paternelle et la possibilité pour le père de faire enfermer son enfant dans des institutions pour “rebelles”. Il faut attendre un arreté du 09/03/1673 pour voir le pouvoir s’interposer dans le gouvernement patriarcal de la famille. Cet arrêté interdit aux pères d’incarcérer leurs enfants sans justifications. Le texte est considéré comme l’une des premières limitations du pouvoir du père par le roi. Les parlements s’intéressent alors à la vie sociale et décident de légiférer sur la question des droits du père. Extrait de Les pères et la paternité.
Dans un des ouvrages qu’il a écrit, Le nouveau praticien, Claude de Ferrière, avocat au Parlement, consacre un chapitre à la « puissance paternelle », c’est à dire l’autorité paternelle.
La puissance que le Droit naturel donne aux peres et meres sur leurs enfans, fait qu’ils ont le pouvoir de les renfermer dans quelque lieu, au cas qu’ils soient d’une mauvaise conduite, qu’il y ait lieu d’apprehender qu’ils ne causent du deshonneur à leurs parens. Ainsi ils les peuvent faire mettre dans une prison; mais il faut que ce soit par permission du Juge du lieu, laquelle s’obtient sur une simple Requête, contenant la malversation de celui que les peres & meres veulent renfermer, sans que pour cela les peres & meres ayent besoin d’un avis de parens. Mais quand les enfants sont mineurs, & qu’ils ont perdu leurs pere & et mere, leurs tuteurs ou curateurs ne le peuvent pas faire sans permission du Juge, il faut un avis des plus proches parens.
Pour l’anecdote, il est probable – même si je n’ai pas encore pu le confirmer par une source – que le Claude de Ferrière qui publie Le nouveau praticien, parmi d’autres ouvrages de droit, est la même personne que le parent convoqué pour donner son avis sur le sort réservé à sa cousine par alliance.
Que reproche t’on à Marguerite Langlois ?
Il semble que sa conduite – elle s’est oubliée et est tombée dans de si grandes fautes – a été tellement scandaleuse que l’honneur de sa famille est mis en cause.
On se réfère clairement à la vie sexuelle de cette jeune femme majeure, qui ne correspond pas aux souhaits de son père. Les faits – que tous les parents consultés connaissent – ne sont pas explicités, et on reste dans le questionnement. Un amant, plusieurs amants, une histoire à la Manon Lescaut, une fuite avec un jeune homme d’un milieu inférieur au sien, une liaison avec un homme marié – pas le roi, ce serait un honneur, pas une honte -, un début de carrière à la Ninon de Lenclos ? On ne peut qu’imaginer …. et se souvenir qu’à Versailles, à la cour de Louis XIV, Louise de la Vallière vient de laisser sa place dans le lit du roi à Françoise Athénaïs de Rochechouart de Mortemart, la marquise de Montespan. Mais ce qui est toléré chez les grands de ce monde n’est pas admis dans la bourgeoisie parisienne.
Et la pauvre Marguerite est condamnée par cet aréopage d’hommes bien pensants – et probablement bien hypocrites – à être enfermée – pour sa vie restante, ou moins selon le bon vouloir de son père – dans la maison des filles de la Magdeleine.
Dans le second tome du Tableau historique et pittoresque de Paris on en apprend plus sur cette institution, les Filles de la Magdeleine, fondée par un homme respectable, Robert Montri, en 1618, pour héberger et donner un asile à des « filles, engagées dans le libertinage et tombées dans l’abandon et la misère qui en sont les suites ordinaires« . L’établissement a du succès, il doit s’agrandir. Marguerite-Claude de Gondi fonde alors un nouvel établissement, situé rue des Fontaines dans le quartier de Saint-Martin et en donne la propriété aux anciennes filles de joie, devenues religieuses cloitrées. Elle lègue également une somme importante à cette fondation. En 1626, Louis XIII leur accorde une rente annuelle de 3000 livres. Les religieuses de la Visitation de Sainte-Marie prennent alors la tête de l’institution, approuvée par une bulle du pape Urbain III en 1631.
DOI : https://doi.org/10.3406/rhmc.1970.2072
www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1970_num_17_2_2072
La communauté des femmes qui y résidaient, de gré ou de force, était répartie en trois classes : celles qui étaient admises à prononcer leurs voeux, celles qui revenues de leurs égarements n’avaient pas une vocation assez solide ou des engagements trop importants avec le monde extérieur – du genre un mari qui les avait fait enfermer – et enfin les femmes placées dans la maison contre leur gré pour y faire pénitence involontaire, vêtues d’un habit noir. C’est à cette troisième classe qu’a dû appartenir Marguerite à son arrivée en septembre 1670 dans la maison de la rue des Fontaines.
Qu’est il arrivé à Marguerite ? A t’elle pu sortir de son couvent ? de sa prison ? S’est elle repentie au point de prononcer ses voeux ? L’histoire bien sûr ne le dit pas, et mes recherches sur la famille Langlois ne sont pas prioritaires.
Un jour, peut être …
Remerciements
Merci à Sophie du blog Charrin 14-18 pour sa relecture de la transcription. Merci également à Sophie Boudarel, de La Gazette des Ancêtres, pour son aide sur les sources concernant l’autorité parentale sous Louis XIV
Sources et liens
- Gallica – Titre : Tableau historique et pittoresque de Paris, depuis les Gaulois jusqu’a nos jours. Tome 2 / . Par J.-B. de Saint-Victor. Tome premier [-troisième] Auteur : Saint-Victor, Jacques-Maximilien Benjamin Bins de (1772-1858). Auteur du texte Éditeur : A Paris, chez H. Nicolle, à la Librairie stéréotype, rue des Petits-Augustins, n° 15. Et chez Le Normant, rue des Prêtres-Saint-Germain-l’Auxerrois, n° 17. De l’Imprimerie des Frères Mame. 1808-1809 Date d’édition : 1808-1809
- Archives nationales – Registres de tutelles – ANY33966A – en ligne sur Geneanet – vue 554/1064
- Google Books – Le nouveau praticien, contenant l’art de procéder dans les matières civiles – Auteur Claude de Ferrière, avocat au parlement. Date d’édition : 1686
- Homme Culture et Identité – Les pères et la paternité : versant historique et législatif