Aucun thème précis pour cette nouvelle participation du blog au Challenge AZ initié par Sophie Boudarel, de la Gazette des ancêtres, juste une promenade à la rencontre de personnes ou d’anecdotes rencontrées au cours de mes recherches
Dans l’acte de mariage de mes arrières-arrières-grands-parents, François Alexandre Quintard et Louise Angèle Reau, le 28 septembre 1875 à Latillé, il y a une mention particulière.
Les parties ayant obtenu des dispenses d’alliance ainsi qu’il résulte du décret du Président de la République en date à Versailles du vingt-deux juin dernier …
Je vous ai déjà raconté comment mon arrière arrière grand père François avait épousé en premières noces Marie Magdeleine Reau, puis après son décès sa jeune sœur Louise Angèle. François avait épousé sa belle-sœur, une union prohibée par le code civil français dans son article 162 depuis 1838 jusqu’au 1er juillet 1914. L’article 162 indique qu’en ligne collatérale, le mariage est prohibé entre le frère et la sœur légitimes ou naturels et les alliés au même degré, c’est à dire les beaux-frères et belles-sœurs. En 1914, la loi change pour les beaux-frères et belles-sœurs, qui n’ont interdiction de convoler que si le mariage qui produisait l’alliance a été dissous par un divorce. Cette interdiction a été abrogée par la loi du 11 juillet 1975.
Mais jusqu’en 1975, si on avait un besoin impératif de se marier – pour légitimer un enfant par exemple – il fallait obtenir une dispense du président de la République.
De 1832, date de promulgation de la loi, jusqu’à fin juin 1914, environ un millier de dispenses étaient accordées chaque année. L’année 1875, il y en a 1474, selon l’étude de Jean Sutter et Claude Lévy.
Cette année, j’ai enfin fait le nécessaire pour consulter le dossier de dispense de mes ancêtres. Les dispenses sont archivées aux Archives Nationales de Pierrefitte, en série BB/11 – Ministère de la justice – Naturalisations, changements de noms, dispenses pour mariage à partir de 1860 ,…. Pour avoir la cote à consulter, il faut passer par une demande de recherche auprès des Archives Nationales, dans votre espace personnel dans la Salle des inventaires virtuelle. J’ai fait ma demande le 5 juillet, et j’ai reçu un mail de réponse quelques semaines plus tard.
Nous avons le plaisir de vous faire savoir que ce document est conservé sous la cote BB/11/1346/2 dans le dossier n° 1372 X 75.
Vous pourrez le commander « par extrait » , et le consulter en salle de lecture à Pierrefitte-sur-Seine.
Pour la commande d’un extrait de cote il convient de :
– sélectionner la cote dans votre panier de cotes
– Choisir l’onglet « demander une autorisation pour
– Sélectionner « un extrait de cote »
– Remplir le formulaire avec les noms et prénoms des intéressé sans oublier le numéro du dossier et soumettre la demande
Le département justice et intérieur vous préviendra lorsque le dossier sera prêt.
Surtout ne vous déplacez pas avant d’avoir reçu le mail qui vous informera de la disponibilité du dossier au guichet .
J’ai suivi les informations données, et le 23 septembre, dûment masquée et munie de mon petit flacon de gel hydroalcoolique pour affronter les transports en commun, je suis allée consulter le dossier que mes arrières arrières grands parents avaient fait constituer pour plaider leur cause.
Avant de détailler ce dossier, je tiens à précier que j’ai beaucoup travaillé déjà sur le couple de mes arrières arrières grands parents. J’ai consacré pusieurs articles à Louise, un article au lieu dit où ils habitaient. Mais dans les quelques feuilles que j’ai consultées, j’ai trouvé des réponses claires à des questions que je me posais, j’ai pu combler certaines lacunes dans leur parcours de vie, et j’ai eu l’impression de les rencontrer. Les documents, écrits par des tiers qui les connaissaient, parlaient de relations humaines, de sentiments, de communauté, des choses qui ne transparaissent pas forcément dans les actes d’état civil.
Que contient ce dossier ?
- Formulaire du Ministère de la Justice, Division du Sceau, dossier n°1372×75 enregistré le 19 mai 1875
- Ministère de la Justice – Rapport sur une demande de dispense d’alliance datée du 7 septembre 1974, légalisée le 6 novembre 1874, rapport daté du 27 mai 1875
- Cour d’Appel de Poitiers – Direction des affaires civiles – Courrier du 17 mai 1875 au Garde des Sceaux
- Parquet de la République de Poitiers – Direction des affaires civiles – courrier du 14 mai 1875 au Garde des Sceaux
- Courrier supplique de François Quintard et Louise Reau, par le biais du maire de Latillé, au Président de la République, daté du 7 septembre 1874
- Liste de toutes les pièces du dossier envoyé par les demandeurs
- Lettre de Gusman Malapert, maire de Latillé, en réponse à une demande du procureur de la République
- Lettre du père Ribreau, curé de Latillé
- Lettre du juge de paix, datée du 6 octobre 1874
- Lettre du maire de Latillé datée du 14 novembre 1874
- Courrier du maire de Latillé daté du 7 novembre 1874
- Avis du maire, daté du 20 octobre 1874
- Courrier de l’Inspection des Enfants Assistés de la Vienne au maire de Latillé, daté du 21 mars 1875
- Certificat du maire de jouissance des droits civils de François Quintard
- Certificat de bonne vie et moeurs de Louise Reau
- Certificat de bonne vie et moeurs de François Quintard
Pour m’y retrouver dans tous ces éléments, j’ai préparé une chronologie des différentes étapes d’obtention de cette dispense, en y intégrant les événements correspondant de la vie du couple.
Cette chronologie m’apprend différentes choses :
- François et Louise ont décidé de se marier quand Louise s’est retrouvée enceinte – et que ça a commencé à se voir – puisqu’elle était enceinte d’environ 4 mois quand le couple a commencé les démarches
- Le maire a commencé par faire les certificats de bonne vie et moeurs de Louise et François six semaines avant que la demande de dispense d’alliance soit rédigée. Pourquoi a t’il fallu autant de temps ?
- Entre les premières pièces du dossier et l’envoi du dossier complet par le procureur général de Poitiers au ministère de la justice, il a fallu presque 10 mois
- Il n’a fallu qu’un mois entre l’arrivée du dossier au ministère de la justice et la publication du décret d’autorisation d’alliance
- Il a fallu encore 3 mois de plus pour que mes arrières arrières grands parents se marient …. Peut-être pour laisser passer les moissons ?
Les pièces elles mêmes me permettent également d’en savoir plus sur certaines des questions que j’avais pu me poser.
L’enfant naturel que Louise a eu en avril 1872 n’est pas de François, son beau-frère, mais d’un garçon de Chalandray, dont elle n’a pas donné le nom, et qui visiblement lui avait fait des promesses non tenues.
Quand elle s’est sue enceinte, Louise, pour ne pas alimenter les ragots, a quitté la maison de son beau-frère, à la Paploterie, et est allée vivre aux Clous – probablement chez un des frères de François – pendant toute la durée de la procédure. Cela m’explique enfin pourquoi mon arrière grand mère n’est pas née à la Paploterie, alors que ses parents y habitaient aux deux recensements entourant sa naissance.
La situation du couple a alimenté les conversations – probablement très malveillantes – dans le bourg, au point que monsieur le curé en fait un argument pour autoriser le mariage : mettre un terme aux rumeurs.
Mes ancêtres sont tellement pauvres – indigents – que toute la procédure est faite à titre gratuit pour eux. Je savais qu’ils étaient pauvres, c’est la raison pour laquelle Louise a dû confier son fils Louis à l’assistance publique en 1872, et c’est aussi pour cette raison que les enfants sont presque tous – sauf Auguste le dernier, partis se placer comme domestiques dès qu’ils ont eu 13 ans. Mais voir cette mention « indigents » apposée sur tous ces documents est un vrai crève-coeur.
Parcourir ce dossier, lire toutes les notes, les pièces, a été un moment fort pour moi. J’ai mieux compris le couple de mes arrières arrières grands parents, je me suis sentie encore plus proche de mon arrière grand mère tant aimée, cette petite fille qui par sa naissance a provoqué toute cette agitation administrative, tous ces documents que je suis si heureuse, 150 ans plus tard, d’avoir découvert.
A l’occasion, dans quelques semaines, je mettrai probablement à jour les articles que j’avais consacrés à Louise et François.
Sources et liens
- Persée – Sutter Jean, Lévy Claude. Les dispenses civiles au mariage en France depuis 1800. In: Population, 14ᵉ année, n°2, 1959. pp. 285-304. DOI : 10.2307/1526411
- Archives Nationales – Cote BB/11/1346/2 dossier 1372 X 75 – Dispense présidentielle pour François Alexandre Quintard et Louise Angele Reau.